Alors que la 26e édition du festival Fiest’A Sète a débuté le 21 juillet, nous avons pu nous entretenir avec le guitariste et leader du groupe Roforofo Jazz. Avant que ne débute une grande et belle série de concert au Théâtre de la Mer, Martin Smith nous parle du groupe et du dernier album Running The Way sorti au mois de janvier dernier. Ils partageront la scène avec les Américains du Hypnotic Brass Ensemble ce dimanche 30 juillet, une soirée estampillée Great Black Music à ne surtout pas manquer !
Tout d’abord, un petit point historique ; tu peux nous parler de la genèse du groupe ? Vous venez d’univers différents, qu’est-ce qui vous a réuni, comment s’est lancé l’affaire ?
Ça fait une bonne vingtaine d’années que je tourne autour de la diaspora Afrobeat. J’étais membre fondateur des frères Smith, on s’est arrêté en 2016 ou 2017. De mon côté, j’avais cette idée de rester sur l’afrobeat mais j’en avais un peu marre de l’afrobeat « de papa ». On entendait un peu toujours les mêmes choses, puis il commençait à y avoir beaucoup de groupe qui faisaient ça. L’idée, c’était d’aller métisser avec d’autres influences. J’ai donc commencé à proposer, avec des racines afrobeat mais en intégrant RacecaR le chanteur assez rapidement, pour venir poser son flow hip-hop. Ça a matché tout de suite. On a vu que ça correspondait bien, que les deux styles fonctionnaient bien ensemble. Après quelques démos faites à la maison, il a fallu commencer à chercher l’équipe qui irait bien pour jouer tout ça. Forcément, c’est avec les potes avec qui je joue depuis des années, mais effectivement avec d’autres influences, plus jazz, que ça s’est fait. Tout le monde est venu apporter sa touche, ses petits arrangements, et ça a donné ce style un peu à part. On ne voulait pas que ça ressemble à quelque chose déjà fait. C’est un autre style, peu importe si on ne sait pas où le placer ensuite ; l’idée c’était de faire quelque chose d’originale, entre guillemets.
RofoRofo, c’est donc un grand mélange de musiciens, de copains aux multiples influences musicales que tu es allé trouver ?
Oui, avec cette expérience de groupe avant. Moi, j’étais surtout dans des bigs bands. Les Frères Smith, on était une quinzaine. Il y avait Afro Latin Vintage Orchestra, c’est pareil on était une quinzaine. Je suis allé chercher les éléments que je trouvais à la fois les plus intéressants musicalement et humainement car c’est hyper important. Je ne monte pas un groupe pour que les gens ne se voient pas ou ne s’aiment pas. On choisit des gens sérieux. C’est un peu comme une compo d’équipe de football. Il faut que chacun ait son poste et soit bien à son poste. Si tu as un élément qui tire vers le bas dans un groupe, ça peut le faire péricliter. C’est donc un choix de mecs que je savais sérieux, que je savais dans la bonne vibe. Puis on est un peu plus vieux aujourd’hui donc on est moins les chiens fous d’avant (rires).
Le groupe est à ton initiative ?
Oui, pour le coup, là, j’ai vraiment pris le parti sur ce projet d’être leader pour le driver. En fait, pendant 20 ans avec les Frères Smith on a fait du « communisme ». Tout le monde donnait son avis, tout le monde parlait ; tout le monde mettait sa pierre à l’édifice. C’est super car quand tu crées à plusieurs c’est très bien mais c’est plus complexe et surtout, ça prend beaucoup de temps. Donc là le parti pris, ce n’était pas de prémâcher le travail mais de proposer depuis la maison, ou à deux ou trois, après on arrange un peu tous ensemble. Je vais être aussi lead sur l’organisation et la gestion du groupe pour fluidifier le tout. J’ai fait ce job longtemps chez les Smith donc ça s’est fait assez naturellement.
Comment ça évolue ? Ça va assez vite, n’est-ce pas ? Vous êtes là que depuis peu de temps finalement.
Le groupe Rofo existe depuis 2018. Donc en effet c’est allé assez vite. Il y a eu l’expérience du Shrine (NDLR – Le New Afrika Shrine est le lieu qui accueille chaque année le festival Felabration, dédié à Fela Kuti, situé à Lagos). On a été invité par la famille Kuti à venir jouer à la Felabration à Lagos en 2019, à peine un an après la création du groupe !
Une forme de consécration !?
C’était le rêve d’une vie ! Avec le groupe tout neuf, ça nous a fait monter quatorze marches d’un coup. À la fois par rapport à, entre guillemets, la renommée – quand on voit que tu vas au Shrine, que t’es invité par les Kuti, on regarde d’un peu plus près ce que tu fais. Et pour nous, c’était hyper fondateur de faire une semaine à Lagos. Une ville de dingue. On a su à ce moment-là que le groupe allait tenir et perdurer. C’était la première grosse étape. Dès qu’on est rentré, on a enregistré un premier EP. J’avais envie, comme je te le disais, de ne pas faire trainer les choses. Il y a des choses qui ont pris tellement de temps par le passé que là, j’avais un peu, pas préparer mon coup, mais je voulais que ça puisse s’enchainer assez vite. Sachant que quand on sort des disques, on se fait parfois assez vite oublier donc il faut presque planifier un an ou deux ans à l’avance.
C’est vrai qu’avec toute l’offre musicale disponible, il est presque nécessaire d’adopter une stratégie.
Oui, il y a beaucoup de sortie et tout ça coute cher. Il faut sortir au bon moment pour pouvoir faire des concerts après, rentabiliser… donc c’était un peu de la planification. Revenir de Lagos, enchainer avec un disque. Malheureusement, il y a eu le covid donc ça a un peu stoppé les élans mais on en a profité pour travailler le deuxième disque. Ce qui a fait qu’entre 2018 et aujourd’hui, en moins de cinq ans, le groupe s’est bien replacé on va dire, même si on est déjà un groupe un peu plus vieux.
Cet album s’est fait dans le contexte du covid ?
Oui contexte covid, même sorti de covid. En sortant de la pandémie, il y a eu un gros embouteillage sur les scènes car tous ceux qui avaient été programmé ont été reprogrammé quand ça allait rouvrir. Nous, au moment où tout a fermé, on n’était pas beaucoup programmé donc l’année suivante on a pas été programmé non plus. C’était bouché, les gens sortaient moins donc ça a pris un peu de temps mais on s’est concentré sur le deuxième disque avec la volonté de réussir à le sortir en janvier. On n’avait jamais fait ça. On a enregistré en juin, on l’a sorti en janvier, c’est très court.
Si on rentre un peu plus dans le détail, comment s’est fait cet album ? Tu disais que tu travaillais un peu de chez toi pour composer, pour faire des démos.
Je n’ai pas les compétences techniques ni le matériel chez moi pour produire un truc fini mais on a bossé un peu chez moi puis répété tous ensemble pour que les morceaux prennent leurs formes définitives et qu’on soit à l’aise. Ensuite on a enregistré dans un studio parisien en juin dernier en quatre jours. Une journée de montage, trois jours de rec. Ça coute tellement cher, on n’a pas trop les moyens de passer deux mois en studio (rires). Puis encore une fois, j’avais cette idée de sprinter le truc parce que quand tu te mets dans un enregistrement, puis un mixe, puis un mastering, puis un visuel… pour faire toutes ces étapes, tu peux assez vite, non pas te démotiver, mais s’il y a quelque chose qui te bloque, tu perds du temps. Tu perds un mois, puis deux, puis trois, puis il faut s’y remettre et c’est super dur. L’idée était aussi de garder le truc bien chaud. Enregistré en juin, mixé et masterisé dans la foulée, fin juillet c’est parti en fabrication ! Les délais pour les vinyles sont super longs, il faut anticiper. J’ai commandé fin juillet, j’ai été livré début janvier. Je le savais donc je voulais absolument terminer. Je ne voulais pas que notre disque sorte après janvier parce que les programmations de festivals, etc… C’est toujours le truc qui te tient un peu par les… Il fallait enchainer. Là je suis content car la dynamique est restée. C’est resté chaud bouillant tout du long.
C’est sorti chez OfficeHome Rrecord ?
Oui c’est mon label, le label maison. Comme le disait mon ami Tony Allen « home cooking is the best ». On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, c’est toujours beaucoup de temps, d’argent et de sueur de chercher des gens qui voudraient bosser avec toi donc au bout d’un moment tu fais le job, ça sort, ça a le mérite d’exister même si ça reste indé.
Quelques mots sur la production de cet album. Vous cherchiez des sonorités particulières ?
On avait vraiment à cœur de le produire mieux que le premier. Le premier a été enregistré un peu à la va-vite avec un studio mobile en salle de répétition tous ensemble donc on n’avait pas des latitudes dingues sur le mix. On entendait la guitare dans la drum, la drum dans la basse, la basse dans les cuivres donc tu ne peux pas faire ce que tu veux. Tu ne peux pas vraiment faire d’édit ni de mix. Le premier avait cette énergie brute qui sonne live, qui finalement était bien, j’aime beaucoup le son. Là aussi on a enregistré en live pour avoir cette énergie qui est je pense indispensable pour ce genre de musique, mais là, on était dans un beau studio donc on a « pris le temps » de refaire des bouts, des arrangements, et en prenant un mois pour mixer ça au mieux. La production du deuxième est par conséquent, plus léchée, peut-être un peu plus jazzy. L’idée était de passer une étape en termes de qualité sonore.
En ce qui concerne les textes, il y a des sujets, des thématiques imposées ?
La dessus c’est RacecaR qui a vraiment carte libre sur ce qu’il écrit. En plus c’est super complexe, il a une écriture ultra imagée. C’est très large. Les thèmes en général touchent beaucoup à l’universalité. Il y a des thèmes assez courants, ça dénonce un peu, traite d’injustice, etc… Après, on ne se masturbe pas sur des idées ou des thèmes. Ça peut être engagé dans certains textes mais on ne lève pas le poing à la Che Guevara (rires).
Vous avez déjà beaucoup tourné avec ce projet ? Quels sont les retours ?
Depuis le début de l’année, on a fait une quinzaine de concerts. Fiest’A Sète, ça va vraiment être le haut du panier, ça va être notre plus belle date pour le projet. Depuis début janvier, c’est très bien, on a fait des concerts de sortie, concert chez FIP, chez RFI, un peu de Belgique, un peu de Hollande. J’aimerais qu’il y en ait plus mais c’est pas mal. On va finir à 20 ou 25 concerts sur l’année. SI l’année prochaine il y en a un peu plus, c’est ce qu’il faut attendre.
Le concert à Fiest’A Sète est attendu ! Le Théâtre de la Mer vous inspire ?
Scène mythique ! Tu vois les noms qu’il y a chaque année et encore cette année, ça fait rêver. On est très fiers d’être part de la programmation 2023. C’est top, la scène est magnifique, on sait que c’est une des plus belles scènes de France. Jouer dans ce cadre, c’est beau, ça va être juste magique, une belle soirée avec Hypnotic Brass Ensemble. On ne les connait pas personnellement mais on aime beaucoup leur musique. On va essayer de voir si on peut faire un petit truc ensemble et tâcher de faire en sorte que la soirée soit bien pêchue (rires) !
Qu’est-ce que vous envisagez pour la suite ? On peut justement s’attendre à des featuring ?
Faire quelque chose avec les cuivres d’Hypnotic déjà ! C’est possible qu’on termine notre set par un morceau de Fela. Là-dessus ça pourrait être top de ramener cinq, six ou sept cuivres. Ça sonnera encore mieux, ça pourrait être cool. Je leur ai proposé mais je n’ai pas encore eu de réponse, à voir. Pour la suite, toujours les mêmes idées de continuer à métisser et de faire des mélanges intéressants. Ce week-end on a joué en région parisienne, c’était la journée mondiale des réfugiées. Un afghan est venu nous voir à la fin du concert en nous disant « j’ai fait des études de musiques en Afghanistan, c’est génial ce que vous faites. » Lui il fait du chant type pakistanais, indien. J’adore ce genre de musique. Tu rencontres un mec comme ça et tu te dis mais oui on va pouvoir imaginer un morceau où le mec viendrait chanter dessus. J’adore aussi les gnaouas, j’ai vu récemment Antibalas faire un featuring avec un groupe à Jazzablanca (festival à Casablanca). C’est génial l’afrobeat avec le ganoua. Ça se mélange hyper bien. Tu vois, c’est des idées à aller chercher. Ce sont aussi des rencontres qui font ça. Je n’ai pas encore de plans précis, mais je sais qu’on va aller essayer de chercher de ce côté, soit des chanteurs, des cuivres, des gens qui viennent mettre une petite vibe en plus. L’occasion fera le larron, je ne m’en fais pas. Malheureusement les parrains du groupe qu’étaient Tony Allen et Kologbo sont morts tous les deux pendant le covid. C’était nos guests de luxe parfaits parce que c’était des personnes incroyables au niveau créatif, artistique… Kologbo était un très bon pote et on a passé énormément de temps ensemble. J’ai joué pour son groupe également, on était très liés. Ça faisait partie de plans de les faire poser sur des morceaux à venir… Il y aura d’autres rencontres.
On sait à quel point toutes ces musiques sont amenées à être croisées, métissées.
Fela, ça a été sa recette à la base, c’était déjà un métissage. Je pense que s’il était toujours là, il aurait évolué d’une manière ou d’une autre. L’important pour moi, c’est de ne pas reproduire la même chose. Puis Fela, il n’y a que Fela pour faire du Fela ! Même ses fils ou Antibalas j’adore mais ça reste autre chose. Et nous petits blancs européens, on n’a pas la prétention de faire pareil. On a un chanteur américain, c’est cool, il chante en anglais mais je ne serais pas trop chaud qu’il chante en français, il fait avec ses racines à lui. Il faut faire avec ses racines à soi. Il faut avoir une certaine forme d’honnêteté dans sa musique et si à la fin ça ne ressemble plus à de l’Afrobeat, ce n’est pas grave, l’important c’est d’avoir fait son truc, sa musique.
Si tu avais à convaincre des gens qui ne connaitraient pas Roforofo et la musique que vous faites, tu leur dirais quoi ?
Si les gens sont un peu curieux de nouvelles sonorités, s’ils sont un peu lassés de ce qu’ils entendent parce qu’ils trouvent que ça tourne un peu en rond, qu’ils écoutent ! Moi personnellement, j’ai du mal à trouver des groupes où je me dis tiens, ça apporte quelque chose, c’est nouveau, ce n’est pas forcément mon style mais je n’ai jamais entendu ça donc c’est intéressant à écouter. C’est donc pour les mélomanes curieux qui ont envie d’un peu de changement. Je sais qu’on a cette signature assez propre à nous donc ça impose entre guillemets, pas une obligation d’écoute, mais ça motive plus facilement les gens à tendre l’oreille. Et si effectivement c’est une musique un peu de niche, il y a aussi l’idée dans Roforofo que oui, ça va être un peu jazz, un peu afrobeat, un peu particulier, mais quand on compose, quand on pense concert, quand on pense à la scène, on a aussi toujours cette volonté que les gens dansent ! Cette volonté de partager une énergie, qu’il y ait ce truc communicatif. C’est important pour nous. Quand je vais à un concert en tant que spectateur, je ne veux pas rester comme ça, figé, à me tenir : l’idée c’est que ce soit toujours dansant, joyeux !