Est-ce que votre pays va toujours mal ?
Oh oui. Je pense que sur le plan démocratique il y a beaucoup de chose à dire. Sur le plan stabilité, sur le plan sécurité, sur le plan économique je peux dire que le pays va mieux. Maintenant, sur le plan démocratique et sur le plan justice il y a des choses à dire, on pourrait dire que le pays va mal. Nous, nous souhaitons que le pays aille bien totalement, sur tous les plans. Maintenant je pense qu'on ne peut pas nier qu’il y a eu un travail de fond pour qu’il y est une stabilité aujourd’hui, il y a eu un travail fait pour que la Côte d’Ivoire se positionne comme un des pays les plus sollicité de la sous-région.
Après 30 ans de carrière vous semblez encore plein de ressources, où est-ce que vous trouvez votre énergie ? La musique est votre carburant ?
La musique c’est mon carburant, mais l’énergie vient du fait que je suis resté dans le peuple, je ne me suis jamais éloigné du peuple. Que ce soit à Bamako où à Abidjan, les gens constatent que je suis to-jours en contact permanent avec le peuple, je n’ai pas quitté les quartiers populaires. Le reggae est la musique des sans voix, je pense que c’est de la que je tiens mon énergie le fait d’être en contact avec le peuple, la réalité, et de vivre encore sur le continent. Il y a beaucoup de personnes qui vivent à NY et à Paris. Je pense que mon énergie vient de là. Le fait qu’après 30 ans j’ai encore des choses à dire, que je sois encore au front pour le combat, la liberté, la justice, légalité, je pense que cela vient du fait que je suis resté dans le peuple.
Vous vous êtes fait ambassadeur d’un continent, d’un "beau continent" comme vous dites avec Dub Inc, c’est l’avenir pour vous ? Mais la jeunesse doit se prendre en main ?
Ah oui, pour moi l’Afrique c’est l’avenir, c’est le continent où tout reste à faire. L’Afrique est le continent le plus riche et personne ne peut me faire douter de ça. Pour moi, les choses vont se concrétiser réellement quand la jeunesse prendra les choses en main, quand on arrêtera d’attendre Dieu. Parce que vous savez, les africains attendent beaucoup Dieu. Ils disent « Dieu est grand », « ça va aller », « Dieu va nous aider », mais moi je dis aux africains que dieu est très occupé à s’occuper des riches, des sud-africains, des nord-américains... Dieu il aide le mouvement, quand il voit un peuple en mouvement pour sa libération, Dieu l'accompagne. C’est ainsi que les noirs américains ne sont pas restés que dans les églises pour prier, ils sont descendus dans les rues, ils se sont battus contre la ségrégation. Même s'il y a encore des injustices, aux US, le résultat de ce combat à payer. C’est ainsi que les sud-africains contre l’apartheid ne sont pas rester que dans les églises et les mosquées et ils sont descendus dans les rues et ont mené des combats, si les africains attendent que Dieu vienne nous aider, le rêve ne se réalisera pas.
Album au titre fort, Braquage de pouvoir dénonce le népotisme, l’entre-soi, la « famillecratie ». Il y a nécessité de manifester, encore ?
Oui je pense qu’il faut continuer. Dans les années 90, nous avons décidé que la démocratie était mieux pour nous, même s'il faut l’adapter à l’africaine car la démocratie occidentale n’est pas faite pour nous car nous avons plusieurs ethnies dans nos pays et peut-être que nous devons trouver notre démocratie. Dans les années 90, on a décidé que le peuple devait prendre le pouvoir, il fallait que le peuple ait le pouvoir, il y a eu beaucoup de personnes ont été humiliées, tuées. J'ai l'impression qu’aujourd’hui, 25 ans après, ce qui sont morts sont morts pour rien puisque le pouvoir est braqué. En Afrique, des familles sont au pouvoir depuis 30, 40 ans, les enfants sont en train de se positionner pour succéder à leur père comme si c’était un système différent de la démocratie. Le népotisme doit être combattu et c'est effectivement ce que je chante dans braquage de pouvoir. Dire aux gens de ne pas oublier ceux qui sont tombés pour qu’on ait la liberté d’aller voter. Si on laisse les gens braquer le pouvoir alors c'est comme s'ils étaient morts pour rien.
Vous chantez « Don’t Worry » avec Amadou et Mariam, vous gardez donc espoir ?
Ah oui moi je garde espoir. Nous, vous savez nous n’avons que 60 ans d’indépendance. Quand je regarde l’histoire de la France, combien de temps cela a pris pour arriver là où on en est aujourd’hui, la stabilité, la démocratie, le développement, etc... Cela se compte en centaines d’années. Quand je regarde l’histoire des États-Unis, je me dis mais tout ça n’est pas venu d’un coup. Nous sommes dans un processus. Il n’y a pas à être fatigué où désespéré après 60 ou 65 ans d’indépendance, le chemin est encore long. Même si des gens doivent se décourager, ce n’est pas nous notre génération. Ils vont continuer, espérer, je pense que l’espoir est permis, je considère que l’Afrique n’est qu’au début, que nous sommes qu’au début. Quand je compare à l’âge de la France libre, j’ai espoir, je continuerai à me battre.
Vous avez l’engagement chevillé au corps depuis des années. C’est dans les luttes que vous trouvez une partie de votre inspiration ?
Oui c’est dans cette lutte-là que je trouve mon inspiration parce qu’effectivement j’ai décidé de consacrer ma vie à ça, même si je suis payé pour chanter et faire les concerts etc... Mais j’ai décidé de consacrer ma vie au combat du reggae car je trouve ce combat noble. Bob Marley il est mort à 35 ans après une vingtaine d’année de carrière seulement donc le combat doit continuer. J’ai décidé d’être parmi ceux qui ont décidé de continuer ce combat avec sincérité. Pour moi c’est nécessaire surtout quand on est africain et qu'on est en face de ce paradoxe : l’Afrique très riche et les africains très pauvre. L’Afrique 52 pays mais commandé et dirigé quelque fois par les 27 pays de l’union européennes, commander par les USA, la Chine où la Russie ; nous sommes l’un des plus grands continents, l’un des plus riche, notre place doit être numéro un, pas à l’arrière. Nous sommes traînés par les autres, qui seraient incapables de continuer leur développement s’ils se passaient de nos matières premières. Quand on est en face d’une situation comme ça, je pense qu’il est impossible de se taire, c’est pourquoi je continue de me battre.
Pour vous, la musique est un exutoire ? Selon vous, la musique est encore le meilleur moyen de porter des messages ?
J’ai besoin de ça. Quand j’ai découvert le reggae, j’ai trouvé ma voie. Je me demandais comment j’allais m’exprimer étant jeune, et le reggae était pour moi c’est l’outil indiqué pour moi de mener mon combat. Je ne suis pas intéressé par une place de politique, je pense que le rôle que je joue avec le reggae est plus important que celui d’un ministre où d’un député.
Onzième album, comment a-t-il été conçu, dans quelles circonstances, où, avec qui ?
J’ai commencé à travailler sur cet album pendant la pandémie. J’avais sorti Le monde est chaud en 2019 et nous avions fait 46 concerts mais on était obligé d’arrêter à cause de la pandémie. Je me suis retiré dans ma ferme à Bamako et c’est là que j’ai eu j’ai commencé a avoir les inspirations de cet album. Puis j’ai contacté ce jeune producteur ivoirien qui vit à Bamako qui a un studio qui s’appelle Scotty. Et avec lequel j’ai travaillé doucement, à chaque fois que j’avais une inspiration j’allais à son studio et on enregistrait. Puis quand on a été prêt pour faire la maquette, j’ai fait appel à mon nouveau manager qui nous a rejoint à Bamako et à trois nous avons travaillé sur cet album. Une fois prêt, nous sommes partis à Abidjan pour enregistrer avec les musiciens. Que ce soit les textes où la musique, c’est avec ces deux personnes que j’ai évolué sur cet album.
N’avez-vous pas l’impression que les musiciens engagés comme vous, se font de plus en plus rare ?
C’est une espèce rare, une espèce qui est combattue, une espèce qui n’est pas soutenue. C’est pourquoi d’ailleurs mes concerts sont rares en Afrique, je n’ai pas le droit aux sponsors comme les autres. Ils préfèrent sponsoriser plutôt les musiques qui amusent le peuple, qui disent au peuple que tout va bien. Être artiste engagé c’est rare puisque c’est pas facile. Il faut être un homme de conviction, il faut avoir un objectif, il faut être un guerrier pour être prêt à aller au front. Ce n’est pas facile, c’est pourquoi c'est rare de voir des artistes aujourd'hui qui ont des textes forts et qui posent des actes dans le sens du combat.
Un dernier message à nos lecteurs, vos auditeurs ?
Simplement dire que cet album est un peu un album retour au pays du roots. J’étais chez Universal, je n’étais pas obligé mais arrivé à un moment on a décidé d’ouvrir un peu la musique pour que nous puissions avoir des fans qui ne sont pas des spécialistes du reggae. Là je pense que l’objectif a été atteint. Aujourd’hui dans un label spécialisé reggae, nous avons décidé d’offrir un album typique reggae, dans le même style que Françafrique, où Coup de Gueule. C’est un peu un retour aux sources, c’est le retour au reggae-roots !